Alex Rawlings, le co-organisateur de la Polyglot Conference (dont l’édition 2018 commence ce vendredi à Ljubljana), publie From Amourette to Żal (The History Press), un livre en forme de lettre d’amour aux langues européennes qui est aussi, en creux, un manifeste anti-Brexit.

Les Britanniques, on le sait, sont désormais les champions du monde du monolinguisme en Europe, pour des raisons assez bien connues. La première tient à la puissance et au prestige de la langue anglaise, devenue en toutes choses la langue de la communication mondiale. Pourquoi apprendre une langue étrangère quand on peut parler avec le monde entier dans la sienne ? De fait, le gouvernement de Tony Blair a sonné le glas de l’apprentissage obligatoire de langues étrangères au lycée en 2004. Lors de l’examen de fin de collège (l’équivalent du brevet des collèges en France), la langue étrangère n’est qu’une option en Grande-Bretagne.
La mise en place du Brexit pouvait laisser supposer une prise de conscience de la part des Britanniques : quittant l’Europe, ils seraient dans l’obligation de conquérir de nouveaux marchés, loin de leurs traditionnels partenaires anglophones, et donc d’apprendre des langues étrangères. Certaines études récentes semblent montrer qu’en fait, c’est l’effet inverse qui est en train de se produire, avec une appétence pour l’apprentissage qui ne cesse de se dégradeer.
Evidemment, cette situation ne peut que désespérer un hyperpolyglotte britannique comme Alex Rawlings, élu en 2012 « étudiant le plus multilingue de Grande-Bretagne » et qui parle désormais 11 langues. La semaine dernière, il a officialisé son départ de Grande-Bretagne en expliquant au Guardian que l’atmosphère était devenue trop désagréable et qu’il n’arrivait pas à se résoudre au fait que le Royaume-Uni quitte l’Union Européenne.

Plaidoyer pour le multilinguisme à l’européenne

C’est dans ce contexte qu’Alex publie son deuxième livre, From Amourette to Żal, Bizarre and beautiful words from Europe et c’est tout sauf un hasard, comme en témoigne le subtil clin d’œil au drapeau européen de la couverture. En introduction à l’ouvrage, Alex se livre à une nouvelle traduction de la fameuse maxime de Wittgenstein, devenue une sorte de poncif pour illustrer le relativisme linguistique et l’hypothèse Sapir-Whorf, « Die Grenzen meiner Sprache bedeutendie Grenzen meiner Welt ». Il s’intéresse surtout au mot Grenzen (qui étrangement rime avec Schengen), traduit la plupart du temps en anglais par « limits », choix qu’il critique en soulignant que Grenzen est davantage l’équivalent de « borders » (frontières). On perd ainsi une partie importante du message et de la métaphore, qui impose une analogie entre l’espace de la langue et le territoire bordé par des frontières. Cette citation lui sert pour dévoiler le véritable propos du livre : un vibrant plaidoyer pour le multilinguisme à l’européenne, un voyage en toute liberté (et sans Grenzen) dans l’Europe des langues. Alex, qui a voyagé et vécu dans de nombreux pays d’Europe, a choisi de façon très personnelle des mots de 12 langues qui ne présentent pas d’équivalents en anglais. On ne dévoilera pas ce choix personnel et partial pour ne pas déflorer le sujet mais on peut au moins dire qu’il s’agit de substantifs ou d’expressions qui sont imprégnés de culture et dont la plupart appartiennent à la catégorie « intraduisible ». Cela donne un livre délicieux, à lire d’une seule traite ou par petites touches comme on lirait un dictionnaire, mais un dictionnaire militant qui nous murmurerait, à toutes les pages : « l’anglais ne suffit pas ! l’anglais ne suffit pas ! ».

Alex Rawlings signera son livre à la Polyglot Conference de Ljubljana après son intervention le dimanche 28 octobre.
Il sera également au Language Show de Londres le 9 novembre à  pour une conférence sur le thème Language for a world without « Grenzen » (11h30).

From Amourette to Żal: Bizarre and Beautiful Words from Europe (The History Press), £9,99