Alphonse Chérel, créateur de la méthode Assimil en 1929, n’a laissé aucun document faisant état des fondements de sa pédagogie. Ainsi, on ignore tout de la genèse d’une méthode qui a pourtant permis à des millions de personnes d’apprendre des langues étrangères depuis 90 ans. En d’autres termes, pourquoi ça marche ? 

La méthode Assimil existe depuis 1929. Elle a conquis depuis de nombreux aspirants polyglottes. Nombre d’entre eux se souviennent encore de phrases apprises dans la méthode il y a trente ans, c’est dire si elle s’imprime profondément dans les mémoires ! Sa « recette » très précise a été élaborée par le créateur, Alphonse Chérel. C’est celle qui a guidé la mise au point du tout premier ouvrage, « L’anglais Sans Peine ». Le catalogue d’Assimil s’est considérablement élargi depuis ; il compte aujourd’hui, pour ne citer que quelques exemples, des cahiers d’exercices et d’écritures, des ouvrages de perfectionnement, une nouvelle collection, Objectif Langues, et même des jeux de société ! L’emblématique collection Sans Peine n’est évidemment pas en reste. Sa « recette » actuelle est presque identique à l’originale : on ne change pas une formule qui gagne ! Néanmoins, 90 ans plus tard, on ne sait toujours pas précisément pourquoi cette méthode est si efficace. Il semblait donc intéressant d’aller chercher des réponses du côté des sciences cognitives…

Qu’est-ce que les sciences cognitives ?

Les sciences cognitives sont une discipline scientifique récente, à la croisée de plusieurs domaines, comprenant notamment la psychologie, les neurosciences, l’intelligence artificielle, la philosophie, la linguistique et l’anthropologie. Chacun de ces domaines apporte un éclairage sur les processus mentaux, à travers son prisme particulier. Les sciences cognitives permettent ainsi d’étudier des notions comme la perception, la mémorisation ou encore le raisonnement en confrontant divers apports.

Que nous disent-elles de la méthode Assimil ?

La « recette » d’Assimil comporte plusieurs invariants. Ils sont tous guidés par une idée globale d’apprentissage « intuitif », qui serait optimal pour le fonctionnement du cerveau humain. Les dialogues, vivants et humoristiques, sont la signature de la méthode. La phrase « My tailor is rich », issue du premier ouvrage, est même apparue dans Astérix chez les Bretons ! Un autre invariant est la traduction : les phrases de la langue étudiée sont systématiquement traduites sur la page voisine. Ce n’est pas l’approche la plus plébiscitée, pour une méthode de langue. Qui n’a jamais entendu, de la bouche d’un professeur d’anglais, la célèbre phrase : « Only in English, please! » ? La méthode recommande aussi de coupler l’écoute des enregistrements à la lecture du texte ; il ne s’agit pas de simplement baigner dans la musique de la langue jusqu’à savoir en extraire des mots soi-même. La répétition des tournures est également caractéristique de la pédagogie d’Assimil.
Chacun des livres de la collection Sans Peine est élaboré à partir de ces ingrédients clefs, qui sont rassemblés dans un cahier des charges de quinze pages. Quel est leur intérêt, du point de vue des sciences cognitives ?

Les dialogues

Mais qui aime aborder l’apprentissage d’une langue par une liste de règles de grammaire et des phrases d’une originalité discutable, comme « Bonjour, comment allez-vous ? » ? Bien sûr, une telle approche peut être rassurante et donner un cadre, mais elle n’est pas très ludique. Les dialogues d’Assimil, originaux et saupoudrés d’une touche d’humour, peuvent faire la différence et donner l’envie de se lever du canapé pour aller chercher son livre après une longue journée de travail ou de cours.

Il ne suffit bien sûr pas qu’une méthode soit motivante pour être efficace. En comparant l’approche d’Assimil à l’approche traditionnelle, on peut avoir de sérieux doutes quant au bien-fondé du choix de l’approche par les dialogues, plutôt que par les règles grammaticales. Les règles ne sont-elles pas le fondement de tout apprentissage ?
On peut constater que les enfants sont capables d’accéder à la compréhension et à la maîtrise orale de leur langue avant d’être en mesure d’expliciter les règles de grammaire qui la régissent. Ce phénomène pourrait s’expliquer par la notion d’apprentissage statistique : les nourrissons apprennent quels événements sont probables dans leur environnement. À force de constater que les objets qu’on lâche des mains tombent par terre, ils apprennent par exemple qu’un objet chute quand il n’est pas retenu par un support. Ils ne connaissent pas pour autant la loi de la gravité. Il en va de même pour l’apprentissage de la langue maternelle : les tournures correctes ou incorrectes sont inférées à partir de leur fréquence d’apparition. La méthode Assimil favoriserait ainsi un apprentissage des régularités de la langue au fur et à mesure des expositions à celle-ci, comme pour l’apprentissage de la langue maternelle. Les règles de grammaire sont tout de même explicitées, mais de manière partielle, et selon les exemples donnés. Elles sont ensuite synthétisées dans les leçons de révision, pour compléter l’assimilation intuitive et fournir un repère à l’apprenant.
Il faut aussi noter que les langues ne sont pas seulement caractérisées par des éléments rigides comme leurs règles syntaxiques. Elles ont un aspect pragmatique : elles sont ancrées dans l’usage. Les dialogues ont l’avantage d’être concrets, d’employer les tournures dans un cadre vivant. Cela permet à l’apprenant de s’exprimer plus naturellement.

Employer les mots dans un cadre vivant a aussi des avantages pour la mémorisation. Vous arrive-t-il de vous rendre dans un endroit que vous fréquentiez régulièrement à une époque, et de vous remémorer des souvenirs que vous pensiez avoir complètement effacé de votre mémoire ? Selon l’approche située de la cognition, la mémoire n’est pas une petite boîte dans votre cerveau, dans laquelle vous pouvez aller piocher les souvenirs comme bon vous semble. Ils vous reviennent selon ce que la situation dans laquelle vous vous trouvez vous rappelle. Par exemple, si vous allez au restaurant à l’étranger, et que vous avez appris le nom des aliments dans un dialogue mettant en scène un repas, la similarité des contextes pourrait vous aider à vous souvenir du vocabulaire.

La traduction

La traduction est souvent vue d’un mauvais œil dans l’enseignement des langues : il faut penser dans la langue qu’on apprend ! Mais comment penser dans une langue dans laquelle on débute ? Comment mettre de côté l’influence de sa langue maternelle, alors qu’on s’exprime à travers elle depuis son plus jeune âge ?
Selon le linguiste Wolfang BUTZKAMM, priver l’apprenant de sa langue maternelle est contre-productif. Il défend une approche par la traduction systématique. Selon lui, les professeurs de langues devraient utiliser une technique « sandwich » : il faudrait formuler la phrase dans la langue étudiée, puis dans la langue maternelle de l’apprenant, puis de nouveau dans la langue étudiée. Cela permettrait de mieux comprendre la structure de la langue.
Les langues ont en effet des structures très diverses. Elles expriment les mêmes idées de façon différente. Elles ont aussi chacune un point de vue particulier sur le monde. En coréen, par exemple, deux mots sont utilisés pour exprimer la notion de contenance. Si un objet est placé dans un contenant de façon serrée, comme une lettre dans une enveloppe, on emploie le terme kkita. S’il est placé dans un contenant large, englobant, comme une pomme dans un bol, on emploie le terme netha. En français, on ne fait pas de distinction: on emploie dans les deux cas le mot « dans ».

Les ouvrages de la collection Sans Peine fournissent une traduction classique, mais aussi une traduction mot à mot de la phrase. Cela permet de mettre en évidence l’organisation de la langue étudiée. Bien utilisée, la traduction ne mène pas à « calquer » les tournures de sa langue maternelle sur la langue qu’on apprend. Au contraire, elle nous permet de prendre conscience des différences, en s’appuyant sur la langue que l’on maîtrise le mieux. Penser dans la langue étudiée vient tout seul, dans un second temps. Il faut d’abord être à l’aise dans sa pratique !

L’écoute couplée à la lecture

La méthode Assimil affirme s’inspirer du processus d’apprentissage de la langue maternelle. Pourquoi alors recommander aux apprenants de lire les textes tout en écoutant les enregistrements ? Les bébés n’ont besoin que de l’oral pour apprendre leur langue !

Les bébés ont toutefois une capacité que les adultes ont perdue. Ils sont capables d’entendre les sons de toutes les langues du monde jusqu’à l’âge de 10-13 mois. Ensuite, ils se spécialisent pour les sons des langues régulièrement entendues et dans lesquelles ils ont eu des interactions : faire écouter des chansons dans une langue étrangère à un bébé sans les lui chanter directement ne sert à rien.

Le cerveau des adultes étant différent de celui des bébés, une méthode intuitive pour les bébés ne l’est pas forcément pour les adultes. Il est plus facile pour les adultes de recourir à une aide sous forme de texte pour identifier correctement les sons de la langue étudiée. De plus, dans le cerveau des adultes, le système visuel est directement relié au système qui gère le langage parlé, grâce à la mise en place du circuit de la lecture. Passer par la vision ne serait donc pas néfaste au développement de compétences orales. Il est aussi plus facile de s’arrêter sur les tournures de phrases qui nous semblent difficiles en lisant un livre, plutôt qu’en écoutant un enregistrement.

La répétition

Répéter les mêmes informations plusieurs fois, ça semble ennuyeux ! C’est néanmoins indispensable pour bien apprendre : pour que les connexions entre les neurones perdurent et s’intensifient, il faut les réactiver.
Certaines manières de répéter sont peu efficaces. C’est précisément celles-ci qui sont ennuyeuses : on a l’impression de connaître l’information parfaitement, alors la répéter encore et encore semble inutile.
Néanmoins, dès lors qu’on laisse passer un peu de temps, répéter est moins facile. Ebbinghaus, pionnier des recherches sur la mémoire, a montré que l’oubli était extrêmement rapide : au bout d’une journée, on oublie déjà plus de la moitié de ce qu’on a appris !

Selon les recherches sur les répétitions et la mémoire, le plus efficace serait de répéter l’information quand on est sur le point de l’oublier : c’est à ce moment qu’on doit faire le plus d’effort pour s’en souvenir, et cela consoliderait le souvenir.
La méthode Assimil s’appuie sur cette notion de répétition espacée. La deuxième vague consiste à revenir sur les premières leçons à partir de la moitié de l’ouvrage. Ainsi, une cinquantaine de jours se passe entre l’étude d’une leçon et sa révision.

La répétition se retrouve dans d’autres aspects des méthodes Assimil. Elle permet d’acquérir les mots et structures de phrases de manière progressive, sans trop d’efforts. Le cahier des charges recommande aux auteurs de répéter les tournures essentielles de la langue au moins sept fois au cours de l’ouvrage. Une leçon de révision est aussi mise en place toutes les semaines pour aider à créer du lien entre les connaissances. Enfin, des exercices permettent de répéter les tournures après chaque nouvelle leçon. Il ne s’agit pas d’un simple apprentissage « par cœur » : l’apprenant doit réutiliser le vocabulaire dans des phrases différentes de celles du dialogue.

Lila Lumière
Lila Lumière est étudiante en sciences cognitives à l’université Lumière Lyon 2.

A lire aussi : 90 ans d’Assimil en dates clefs

Pour aller plus loin :

– sur l’apprentissage statistique : série de conférences intitulée « Le bébé statisticien : les théories bayésiennes de l’apprentissage »
https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2012-2013.htm

– sur la répétition espacée : « La mémoire et son optimisation »
https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-02-17-09h30.htm

– sur le circuit cérébral de la lecture : « Fondements cognitifs de la lecture »
https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-02-24-09h30.htm